Retour sur l'actualité de juillet: décès de Simone Veil
Un texte de Mgr Rey paru sur le site de l'OSP de son diocèse:
Rescapée de l’épouvantable déportation massive des juifs durant la seconde guerre mondiale, pionnière de l’investissement des femmes dans la sphère politique, Simone Veil mériterait à nombre d’égards qu’on s’incline devant elle avec le respect dû aux morts. Et pourtant, son combat pour « l’interruption volontaire de grossesse » cristallise aujourd’hui un douloureux affrontement sur sa personne. Ayant promu une loi qui dépénalisa l’avortement, Simone Veil, est, ici et là, l’objet de passions dont la force réductrice, sinon le fanatisme, ne laisse pas de créer un malaise.
Un décès appelle la dignité sobre du silence ou la mesure des discours. Il est dès lors frappant d’entendre résonner avec éclat des invectives ou des célébrations incantatoires. Elles me rappellent le mot de Bernanos sur notre monde contemporain, « une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure ». Pour prendre un peu de hauteur, j’aimerais proposer qu’on veuille bien lire et méditer en silence le discours qu’elle donna à l’Assemblée nationale le 26 novembre 1974 : il est plus complexe que ce que les partisans veulent faire croire.
Comment en est-on venu là ? Ne portent-ils pas aussi leur responsabilité ceux qui, alors, demeuraient sourds à ce cri de Simone Veil : « Actuellement, celles qui se trouvent dans cette situation de détresse, qui s’en préoccupe ? La loi les rejette non seulement dans l’opprobre, la honte et la solitude, mais aussi dans l’anonymat et l’angoisse des poursuites. […] Combien sont-ils ceux qui au-delà de ce qu’ils jugent comme une faute, ont su manifester aux jeunes mères célibataires la compréhension et l’appui moral dont elles avaient grand besoin ? » Depuis la fin de l’interdiction de l’avortement, avons-nous fait des progrès ? Quel regard posons-nous sur la détresse des mères seules ? Ces questions n’appellent pas de réponses univoques mais plutôt à questionner notre positionnement, pour qu’il soit toujours du côté de la vie.
A l’aune de ce texte, nous mesurons qu’il faut d’abord prendre la mesure de ce que vit la jeunesse. Soumise aux nouvelles idoles de la société – hypersexualisation, narcissisme, vanité des plaisirs fugaces et futiles, accélération du rapport au temps et à la réflexion, dénonciation de toute vie intérieure – comment s’étonner que la jeunesse vive de graves détresses ? Que faisons-nous pour venir en aide aux mères seules, à celles qui ont le courage de garder leur enfant ? Comment transmettons-nous aux jeunes la beauté et le goût des engagements longs et des fidélités, joyeuses ou douloureuses ?
Ce texte est aussi une réponse à ceux qui cèdent encore à l’antique illusion de l’homme-démiurge. « L’acceptation de son propre corps comme don de Dieu est nécessaire pour accueillir et pour accepter le monde tout entier comme don du Père et maison commune ; tandis qu’une logique de domination sur son propre corps devient une logique, parfois subtile, de domination sur la création » (François, Laudato Si’, n. 155). Les nouvelles tendances d’un féminisme outrancier appartiennent à des logiques que certains taxeraient de totalitaires.
Certaines féministes se fourvoient gravement lorsqu’ils font de Simone Veil la conquérante d’un hypothétique « droit à l’avortement », elle qui déclarait : « si [la loi] n’interdit plus, elle ne crée aucun droit à l’avortement ». L’avortement n’est pas un droit, mais un drame.
La précédente législature aurait pu s’en souvenir lorsqu’elle s’est attaquée gravement à la liberté d’expression en créant un « délit d’entrave numérique ». Simone Veil demandait instamment que soit « interdite l’incitation à l’avortement par quelque moyen que ce soit car cette incitation reste inadmissible. »
Au sujet du père de l’enfant à naître, Simone Veil estimait que « la décision de l’interruption de grossesse ne devrait pas, chacun le ressent, être prise par la femme seule, mais aussi par son mari ou son compagnon. » Car l’avortement c’est aussi le drame de la déresponsabilisation des pères. Il faut souligner le désarroi de certains d’entre eux, autant en « quête » qu’en « perte » d’une identité qu’ils peinent à assumer.
J’ajouterais encore à l’adresse de ceux qui gouvernent depuis peu les destinées du pays, que le principal héritage de Simone Veil que j’aimerais leur soumettre, s’agissant du drame de l’avortement, c’est la phrase-programme que voici : « s’il [faut] admettre la possibilité d’une interruption de grossesse, c’est pour la contrôler et, autant que possible, en dissuader la femme. » Dans la pensée de Simone Veil, il était urgent de tout faire pour que diminue drastiquement jusqu’à disparaître le nombre des avortements : « C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame », disait-elle encore.
La loi portée par Simone Veil ignore pourtant l’essentiel, celui-là seul qui n’a pas voix au chapitre, l’enfant à naître. Cet enfant dont on voudrait nous faire croire qu’il n’en deviendrait un qu’après 10 semaines suivant la conception au Portugal, contre 18 en Suède, 24 aux Pays-Bas ou 4 mois en Autriche. Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà, suivant le mot de Pascal. Fruits d’un arbitraire législatif et non scientifique, ces délais disparates cachent la vérité biologique de l’existence de l’humain dès sa conception. Plus que la femme en détresse, plus que le père qui n’assume pas ses responsabilités, plus qu’une société pudibonde ou égoïste, c’est l’enfant muet, l’enfant à naître, qui n’a aucun défenseur.
Quand Simone Veil déclarait que « personne n’a jamais contesté que l’avortement soit un échec quand il n’est pas un drame », le pape François lui fait lointainement écho pour nous sensibiliser à une authentique culture de vie qui se décline dans les combats de l’écologie intégrale : « La plaie qu’est l’avortement constitue un attentat contre la vie. Laisser mourir nos frères sur les bateaux dans le canal de Sicile constitue un attentat contre la vie. […] Le terrorisme, la guerre, la violence, mais aussi l’euthanasie, constituent des attentats contre la vie » (discours à l’association Scienza e Vita, 30 mai 2015).
Je souhaite, tout comme Simone Veil lorsqu’elle concluait son discours, proclamer qu’il faut « conserver à la vie sa valeur suprême. » L’Evangile nous presse de répondre au défi immense du respect de toute vie, depuis son commencement jusqu’à sa fin naturelle.